
Quand les laines Plassard laissent place à l’art
__________________________________________
Gérard Breuil et Gérard Mathie commissaires d’exposition

Isolé dans son atelier l’artiste reste entièrement libre de ses choix, fragile équilibre entre doutes et
certitudes. Pour un éventuel visiteur, son travail en cours ou antérieur est présenté souvent de façon sommaire et intime, hors de toute logique et chronologie, parfois posé sur un chevalet, parfois retourné contre un mur quand il n’est pas stocké sous papier bulle ! Ici, sous la lumière du jour ou un éclairage basique au néon, les toiles s’offrent au regard les unes après les autres : ce n’est pas sans charme mais c’est plutôt l’atmosphère de l’atelier qui prime, avec ses bruits, ses odeurs, les outils bien rangés ou éparpillés, les matériaux dispersés çà et là…
Toutefois, pour une exposition solo, un autre paramètre s’impose au peintre. Il ne lui suffira pas d’accrocher tout bonnement ses oeuvres mais de les faire interagir avec l’architecture du lieu qui les accueille. C’est pourquoi, à notre avis¸ son exhibition sera réussie grâce, bien sûr, à la qualité des travaux qu’il aura réunis mais surtout s’il a bien pris en compte le site lui permettant de faire jouer chacune de ses pièces en relation étroite avec celui-ci. Dans ce cas, l’aide d’un galeriste compétent ou d’un regard extérieur peut lui être des plus précieuses.
Dans le cadre d’une exposition en duo, avec des travaux de factures bien différentes, cela nécessite une vraie complicité et une mutuelle confiance. La chose n’est pas insurmontable. Nous l’avons expérimentée ensemble à plusieurs reprises, ce fut toujours un pari audacieux mais si gratifiant lorsque nous estimions avoir atteint l’objectif recherché où l’oeuvre de l’un s’harmonisait avec celle de l’autre en corrélation avec l’espace investi. Ainsi naît une création ultime et éphémère qui à la fois repose sur la synergie des oeuvres déployées et leur rapport fusionnel avec un lieu plus ou moins prégnant, processus qu’analyse fort justement Joël Couve lorsqu’il écrit : « à partir d’un plan de matérialité sensible et intelligible, les forces et les actions plastiques des deux oeuvres convergent et établissent des connexions sémantiques jusqu’à ce qu’elles s’assemblent sans se ressembler /…/ et c’est dans la troisième oeuvre, qui en constitue comme le concert polyphonique et visuel, qu’elles coexistent et se confondent sans se départir de leur originalité distincte ».*
Avec cinquante artistes, cela devient une tout autre affaire ! Plus périlleuse et plus complexe. C’est pourtant ce que nous proposons avec cette exposition OPUS 50…
Anne Plassard et Jean-Denis Aznar, anciens dirigeants des « Laines Plassard » ont conservé le site de la filature à présent déserté, peuplé uniquement par la présence fantomatique des ouvrières et ouvriers qui se sont activés entre ses murs depuis plusieurs générations et par le souvenir de la clameur des machines qui claquent et cliquent, couinent, grincent et raclent dans un langage mécanique qui s’éteint peu à peu. Désireux de ne pas laisser leur friche à l’abandon et de lui donner une nouvelle vie, Anne et Jean-Denis se sont donc tournés vers nous afin que l’on y organise des projets culturels.
certitudes. Pour un éventuel visiteur, son travail en cours ou antérieur est présenté souvent de façon sommaire et intime, hors de toute logique et chronologie, parfois posé sur un chevalet, parfois retourné contre un mur quand il n’est pas stocké sous papier bulle ! Ici, sous la lumière du jour ou un éclairage basique au néon, les toiles s’offrent au regard les unes après les autres : ce n’est pas sans charme mais c’est plutôt l’atmosphère de l’atelier qui prime, avec ses bruits, ses odeurs, les outils bien rangés ou éparpillés, les matériaux dispersés çà et là…
Toutefois, pour une exposition solo, un autre paramètre s’impose au peintre. Il ne lui suffira pas d’accrocher tout bonnement ses oeuvres mais de les faire interagir avec l’architecture du lieu qui les accueille. C’est pourquoi, à notre avis¸ son exhibition sera réussie grâce, bien sûr, à la qualité des travaux qu’il aura réunis mais surtout s’il a bien pris en compte le site lui permettant de faire jouer chacune de ses pièces en relation étroite avec celui-ci. Dans ce cas, l’aide d’un galeriste compétent ou d’un regard extérieur peut lui être des plus précieuses.
Dans le cadre d’une exposition en duo, avec des travaux de factures bien différentes, cela nécessite une vraie complicité et une mutuelle confiance. La chose n’est pas insurmontable. Nous l’avons expérimentée ensemble à plusieurs reprises, ce fut toujours un pari audacieux mais si gratifiant lorsque nous estimions avoir atteint l’objectif recherché où l’oeuvre de l’un s’harmonisait avec celle de l’autre en corrélation avec l’espace investi. Ainsi naît une création ultime et éphémère qui à la fois repose sur la synergie des oeuvres déployées et leur rapport fusionnel avec un lieu plus ou moins prégnant, processus qu’analyse fort justement Joël Couve lorsqu’il écrit : « à partir d’un plan de matérialité sensible et intelligible, les forces et les actions plastiques des deux oeuvres convergent et établissent des connexions sémantiques jusqu’à ce qu’elles s’assemblent sans se ressembler /…/ et c’est dans la troisième oeuvre, qui en constitue comme le concert polyphonique et visuel, qu’elles coexistent et se confondent sans se départir de leur originalité distincte ».*
Avec cinquante artistes, cela devient une tout autre affaire ! Plus périlleuse et plus complexe. C’est pourtant ce que nous proposons avec cette exposition OPUS 50…
Anne Plassard et Jean-Denis Aznar, anciens dirigeants des « Laines Plassard » ont conservé le site de la filature à présent déserté, peuplé uniquement par la présence fantomatique des ouvrières et ouvriers qui se sont activés entre ses murs depuis plusieurs générations et par le souvenir de la clameur des machines qui claquent et cliquent, couinent, grincent et raclent dans un langage mécanique qui s’éteint peu à peu. Désireux de ne pas laisser leur friche à l’abandon et de lui donner une nouvelle vie, Anne et Jean-Denis se sont donc tournés vers nous afin que l’on y organise des projets culturels.
Merci pour le crédit qu’ils nous accordent et qui nous honore. Merci aussi à eux de privilégier des événements artistiques dans un milieu rural en demande où ce type d’initiative est hélas bien trop rare…
Face à l’envergure du site, et comme il s’agit d’une inauguration, nous avons opté tout naturellement pour une première manifestation de grande ampleur, ce qui nous a contraints à coiffer une double casquette - double responsabilité - celle des artistes que nous sommes et celle de commissaires d’exposition. Ainsi, nous avons fait appel à quarante-huit autres artistes amis afin qu’ils viennent se joindre à notre entreprise et nous ne pouvons que nous féliciter de l’accueil enthousiaste que tous nous ont réservé. Beaucoup d’entre eux vivent et travaillent dans la métropole lyonnaise, certains viennent de plus loin (Région parisienne, Normandie…), un grand nombre du Beaujolais, du Haut-Beaujolais, de la Bourgogne et notamment de la Saône-et-Loire. Chaque artiste utilise des médiums différents : peintures, sculptures, dessins, gravures, photographies, hologrammes, installations, performances… et sera placé en intérieur comme à l’extérieur. À nous de les mettre en valeur dans un esprit de professionnalisme et de convivialité, dans le respect et de leurs oeuvres et des lieux. Le défi porte sur le fait qu’une telle exposition n’ambitionne pas de refléter particulièrement un aspect de l’art contemporain répondant à une mouvance, une conjoncture, une mode ou une tendance culturelle…En l’absence de fil continu finalement réducteur, l’expression artistique se moque de l’obligation de se plier à des critères de classification, mais se doit, derrière sa substance de source fatalement éclectique, de faire oeuvre commune. Il n’est pas question ici d’une présentation égotique d’oeuvres détachées de tout contexte. Et plus qu’un fil conducteur, qu’une bonne galerie serait tenue de conduire, il s’agirait là d’un fil d’Ariane où chacun tendant à sublimer l’espace que son oeuvre habite, réhabilite le lien existant dans cette manufacture autrefois vouée à la production de laines, occupée par des machines imposant l’adéquation d’un modèle architectural aux normes de production. Un tout quoi. L’idée de convergence, sur des bases hétéroclites, et dans un lieu chargé d’histoire, est la clé d’une réaffectation du bâtiment, sans allégeance mais dans l’esprit de préserver son âme structurelle et mémorielle. Ainsi, en amont du travail de conception et de mise en espace qui incombe aux commissaires d’exposition, les artistes ont été conviés à une visite préalable censée leur fournir la possibilité d’appréhender les spécificités et le caractère propre à l’ancienne fabrique.
Et comme une chose en entraîne une autre, plusieurs évènements se dérouleront sur juin et juillet 2023 : lectures, performances, conférences…
En lien avec OPUS 50 à la filature, une deuxième exposition voit également le jour puisque les cinquante artistes sont invités à donner à voir dans le même temps des oeuvres de petits formats à La Vitrine, lieu d’art contemporain animé par Eva Ducret et Serge Faudin à Marcigny.
Reste à espérer la pérennité de la filature et que ce premier rendez-vous augure d’une belle aventure…
*In catalogue Une trame d’incertitudes sans cesse renaissantes - Exposition de Gérard Breuil et Gérard Mathie à la chapelle de Bans (69), 2020
Face à l’envergure du site, et comme il s’agit d’une inauguration, nous avons opté tout naturellement pour une première manifestation de grande ampleur, ce qui nous a contraints à coiffer une double casquette - double responsabilité - celle des artistes que nous sommes et celle de commissaires d’exposition. Ainsi, nous avons fait appel à quarante-huit autres artistes amis afin qu’ils viennent se joindre à notre entreprise et nous ne pouvons que nous féliciter de l’accueil enthousiaste que tous nous ont réservé. Beaucoup d’entre eux vivent et travaillent dans la métropole lyonnaise, certains viennent de plus loin (Région parisienne, Normandie…), un grand nombre du Beaujolais, du Haut-Beaujolais, de la Bourgogne et notamment de la Saône-et-Loire. Chaque artiste utilise des médiums différents : peintures, sculptures, dessins, gravures, photographies, hologrammes, installations, performances… et sera placé en intérieur comme à l’extérieur. À nous de les mettre en valeur dans un esprit de professionnalisme et de convivialité, dans le respect et de leurs oeuvres et des lieux. Le défi porte sur le fait qu’une telle exposition n’ambitionne pas de refléter particulièrement un aspect de l’art contemporain répondant à une mouvance, une conjoncture, une mode ou une tendance culturelle…En l’absence de fil continu finalement réducteur, l’expression artistique se moque de l’obligation de se plier à des critères de classification, mais se doit, derrière sa substance de source fatalement éclectique, de faire oeuvre commune. Il n’est pas question ici d’une présentation égotique d’oeuvres détachées de tout contexte. Et plus qu’un fil conducteur, qu’une bonne galerie serait tenue de conduire, il s’agirait là d’un fil d’Ariane où chacun tendant à sublimer l’espace que son oeuvre habite, réhabilite le lien existant dans cette manufacture autrefois vouée à la production de laines, occupée par des machines imposant l’adéquation d’un modèle architectural aux normes de production. Un tout quoi. L’idée de convergence, sur des bases hétéroclites, et dans un lieu chargé d’histoire, est la clé d’une réaffectation du bâtiment, sans allégeance mais dans l’esprit de préserver son âme structurelle et mémorielle. Ainsi, en amont du travail de conception et de mise en espace qui incombe aux commissaires d’exposition, les artistes ont été conviés à une visite préalable censée leur fournir la possibilité d’appréhender les spécificités et le caractère propre à l’ancienne fabrique.
Et comme une chose en entraîne une autre, plusieurs évènements se dérouleront sur juin et juillet 2023 : lectures, performances, conférences…
En lien avec OPUS 50 à la filature, une deuxième exposition voit également le jour puisque les cinquante artistes sont invités à donner à voir dans le même temps des oeuvres de petits formats à La Vitrine, lieu d’art contemporain animé par Eva Ducret et Serge Faudin à Marcigny.
Reste à espérer la pérennité de la filature et que ce premier rendez-vous augure d’une belle aventure…
*In catalogue Une trame d’incertitudes sans cesse renaissantes - Exposition de Gérard Breuil et Gérard Mathie à la chapelle de Bans (69), 2020

Est-ce un hasard si la nouvelle vie de la filature
Plassard était déjà présente phonétiquement et
s’il semble avoir été inscrit dans sa longue histoire
qu’elle fasse un jour “place à l’art” ?
Il est en tout cas permis de se réjouir avec ce jeu de mots
comme les artistes qui dorénavant vont exposer ici le font
sans nul doute avec la matière, les couleurs, les supports
et les différents médiums employés et comme le feront les
visiteurs en parcourant cette ancienne usine reconvertie.
La filature Plassard fut une manufacture à la campagne
avant d’être un lieu d’exposition champêtre et cela lui
confère une identité particulière par son architecture et
par son environnement fortement marqué, hier comme
aujourd’hui, par la présence de la rivière, des collines, des
arbres, des prairies.
Quiétude, sérénité, espace sont là pour mettre le visiteur
dans des conditions optimales d’attention, de réceptivité,
d’attente bienveillante face aux oeuvres rassemblées.
Dans ce bâtiment, la création demeure le maître-mot :
création textile et création artistique sont loin d’être antagonistes,
l’une et l’autre étant objets de regard.
Les laines Plassard ont acquis ici la réputation de beauté
et de qualité qui leur ont permis d’être appréciées dans le
monde entier pendant des décennies.
Il se pourrait bien que la recherche, l’inventivité qui ont
été constamment présentes pour améliorer les machines
et la production imprègnent encore ces murs qui furent
aussi le lieu de travail de femmes et d’hommes industrieux,
consciencieux et fiers de leur entreprise.
Cet héritage-là aucune galerie ne serait à même de le
proposer aux artistes. Il leur revient donc, grâce à Anne
Plassard et Jean-Denis Aznar, de participer à une expérience
unique en réunissant leurs travaux dans une
monstration qui permette à ce site de redevenir vivant
et vibrant.
Danièle Miguet
Conservateur en chef du Patrimoine honoraire
Plassard était déjà présente phonétiquement et
s’il semble avoir été inscrit dans sa longue histoire
qu’elle fasse un jour “place à l’art” ?
Il est en tout cas permis de se réjouir avec ce jeu de mots
comme les artistes qui dorénavant vont exposer ici le font
sans nul doute avec la matière, les couleurs, les supports
et les différents médiums employés et comme le feront les
visiteurs en parcourant cette ancienne usine reconvertie.
La filature Plassard fut une manufacture à la campagne
avant d’être un lieu d’exposition champêtre et cela lui
confère une identité particulière par son architecture et
par son environnement fortement marqué, hier comme
aujourd’hui, par la présence de la rivière, des collines, des
arbres, des prairies.
Quiétude, sérénité, espace sont là pour mettre le visiteur
dans des conditions optimales d’attention, de réceptivité,
d’attente bienveillante face aux oeuvres rassemblées.
Dans ce bâtiment, la création demeure le maître-mot :
création textile et création artistique sont loin d’être antagonistes,
l’une et l’autre étant objets de regard.
Les laines Plassard ont acquis ici la réputation de beauté
et de qualité qui leur ont permis d’être appréciées dans le
monde entier pendant des décennies.
Il se pourrait bien que la recherche, l’inventivité qui ont
été constamment présentes pour améliorer les machines
et la production imprègnent encore ces murs qui furent
aussi le lieu de travail de femmes et d’hommes industrieux,
consciencieux et fiers de leur entreprise.
Cet héritage-là aucune galerie ne serait à même de le
proposer aux artistes. Il leur revient donc, grâce à Anne
Plassard et Jean-Denis Aznar, de participer à une expérience
unique en réunissant leurs travaux dans une
monstration qui permette à ce site de redevenir vivant
et vibrant.
Danièle Miguet
Conservateur en chef du Patrimoine honoraire
REPÈRES CHRONOLOGIQUES
Vers 1500
Création du moulin de Champerny
pendant la Renaissance, période
de grand élan démographique et
artistique.
16e - 19e siècles
Pendant plus de trois siècles, c’est
un moulin à blé dont on utilise
l’énergie hydraulique, selon les
époques et les opportunités, pour
d’autres activités (scierie…).
C’est aussi un lieu de rencontre.
Tous les chemins de la vallée
convergent vers le moulin où l’on
passe le Sornin à sec sur l’un des
plus vieux ponts de cette rivière.
Milieu du 19e siècle
Le moulin, mal entretenu, est peu
à peu abandonné et tombe en
ruines.
1889
Rachat du moulin par la famille
Athenoud Plassard qui le transforme
en filature de laine cardée.
L’eau du bief est alors utilisée pour
laver la laine et pour actionner
les machines. Filature qui fonctionnera
pendant 4 générations.
2016
Faute de repreneurs familiaux ,
vente de la société Plassard
2022
Déménagement à Chauffailles
de la société Plassard
Vers 1500
Création du moulin de Champerny
pendant la Renaissance, période
de grand élan démographique et
artistique.
16e - 19e siècles
Pendant plus de trois siècles, c’est
un moulin à blé dont on utilise
l’énergie hydraulique, selon les
époques et les opportunités, pour
d’autres activités (scierie…).
C’est aussi un lieu de rencontre.
Tous les chemins de la vallée
convergent vers le moulin où l’on
passe le Sornin à sec sur l’un des
plus vieux ponts de cette rivière.
Milieu du 19e siècle
Le moulin, mal entretenu, est peu
à peu abandonné et tombe en
ruines.
1889
Rachat du moulin par la famille
Athenoud Plassard qui le transforme
en filature de laine cardée.
L’eau du bief est alors utilisée pour
laver la laine et pour actionner
les machines. Filature qui fonctionnera
pendant 4 générations.
2016
Faute de repreneurs familiaux ,
vente de la société Plassard
2022
Déménagement à Chauffailles
de la société Plassard

PENELOPUS 5O
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Patrick Ravella (in Auteurs de Mondes 1980-2023)
On cherche en vain une définition de l’art. On a pu lire que l’art, contrairement à la technique, « n’avait pas de fonction pratique » ou « qu’un artisan faisait ce qu’il savait faire, alors qu’un artiste faisait ce qu’il ne savait pas faire ». Mais la recherche scientifique fondamentale pourrait souvent correspondre à ces deux définitions, au moins de façon temporaire, et plus souvent et plus constamment encore la politique et l’administration.
Au XXe siècle, des artistes influents ont imposé l’idée que l’objet d’art était ce qu’ils avaient revêtu de leur signature. Au XXIe siècle, il semble que la définition de l’art soit indexée sur le marché – comme tout le reste.
Une figure singulière, Bartlebooth, apparaît dans le roman de Perec « La vie mode d’emploi ».
Ce personnage a consacré sa vie à une oeuvre qui se veut inutile, et qui en tout cas inclut sa propre disparition dans le processus créatif. Il veut peindre 500 aquarelles, les faire transformer en puzzles, recomposer ses 500 puzzles et finalement dissoudre les aquarelles reconstituées pour revenir à un papier blanc.
Il a un illustre précédent : Pénélope, qui détisse la nuit la tapisserie qu’elle a confectionnée le jour.
Il y a aussi une succession, comme on va le voir.
Dans le cas de Bartlebooth, on pourrait dire qu’il se place dans la lignée des peintres de vanités, mais à une position ultime qui marque la vanité du geste artistique lui-même.
Dans la version de Pénélope, il y a au contraire une attente et un espoir : aussi astucieuse que son Ulysse de mari, elle oppose un délai indéfini à l’insistance pénible de ses prétendants.
La version d’aujourd’hui, c’est Gérard Breuil et Gérard Mathie qui l’inventent.
Nous étions déjà en présence de deux Pénélopes déclarées : l’un comme l’autre considéraient leurs expositions personnelles comme des oeuvres éphémères plutôt qu’une juxtaposition d’oeuvres pérennes. Leurs travaux (quand ils ne disent pas leurs boulots) seraient comme les brins de laine de Pénélope.
La tapisserie serait visible, non pas une seule journée comme dans le mythe, mais le temps d’une exposition, ce qui reste bien bref, et serait détissée le soir du finissage.
Cette fois, ils sont passés à un degré bien supérieur, celui de PÉNÉLOPUS 50. Inspirés sans doute par le lieu, où tant de laine a été filée, ils tissent une immense tapisserie, une méta-oeuvre faite des oeuvres d’une cinquantaine de leurs amis artistes. On peut supposer qu’ils tissent également avec les artistes eux-mêmes, renouvelant les liens entre ceux qui se connaissaient déjà, créant de nouveaux points de contact entre ceux qui ne s’étaient jamais croisés. Ajoutons les hôtes et les visiteurs à ce graphe d’intersections, et nous obtiendrons une complexité réjouissante. Bien sûr (petit rappel de la vanité, mouche en bas du tableau) l’exposition aura une fin, les oeuvres, les artistes, les visiteurs se disperseront à nouveau, et nous attendrons encore longtemps le retour d’Ulysse. Mais, en attendant, chacun repartira avec le souvenir de ces rencontres, et on l’espère une meilleure définition de ce qu’est ou pourrait être l’art.
Au XXe siècle, des artistes influents ont imposé l’idée que l’objet d’art était ce qu’ils avaient revêtu de leur signature. Au XXIe siècle, il semble que la définition de l’art soit indexée sur le marché – comme tout le reste.
Une figure singulière, Bartlebooth, apparaît dans le roman de Perec « La vie mode d’emploi ».
Ce personnage a consacré sa vie à une oeuvre qui se veut inutile, et qui en tout cas inclut sa propre disparition dans le processus créatif. Il veut peindre 500 aquarelles, les faire transformer en puzzles, recomposer ses 500 puzzles et finalement dissoudre les aquarelles reconstituées pour revenir à un papier blanc.
Il a un illustre précédent : Pénélope, qui détisse la nuit la tapisserie qu’elle a confectionnée le jour.
Il y a aussi une succession, comme on va le voir.
Dans le cas de Bartlebooth, on pourrait dire qu’il se place dans la lignée des peintres de vanités, mais à une position ultime qui marque la vanité du geste artistique lui-même.
Dans la version de Pénélope, il y a au contraire une attente et un espoir : aussi astucieuse que son Ulysse de mari, elle oppose un délai indéfini à l’insistance pénible de ses prétendants.
La version d’aujourd’hui, c’est Gérard Breuil et Gérard Mathie qui l’inventent.
Nous étions déjà en présence de deux Pénélopes déclarées : l’un comme l’autre considéraient leurs expositions personnelles comme des oeuvres éphémères plutôt qu’une juxtaposition d’oeuvres pérennes. Leurs travaux (quand ils ne disent pas leurs boulots) seraient comme les brins de laine de Pénélope.
La tapisserie serait visible, non pas une seule journée comme dans le mythe, mais le temps d’une exposition, ce qui reste bien bref, et serait détissée le soir du finissage.
Cette fois, ils sont passés à un degré bien supérieur, celui de PÉNÉLOPUS 50. Inspirés sans doute par le lieu, où tant de laine a été filée, ils tissent une immense tapisserie, une méta-oeuvre faite des oeuvres d’une cinquantaine de leurs amis artistes. On peut supposer qu’ils tissent également avec les artistes eux-mêmes, renouvelant les liens entre ceux qui se connaissaient déjà, créant de nouveaux points de contact entre ceux qui ne s’étaient jamais croisés. Ajoutons les hôtes et les visiteurs à ce graphe d’intersections, et nous obtiendrons une complexité réjouissante. Bien sûr (petit rappel de la vanité, mouche en bas du tableau) l’exposition aura une fin, les oeuvres, les artistes, les visiteurs se disperseront à nouveau, et nous attendrons encore longtemps le retour d’Ulysse. Mais, en attendant, chacun repartira avec le souvenir de ces rencontres, et on l’espère une meilleure définition de ce qu’est ou pourrait être l’art.
Archipel et patchwork : la filature à l’aventure de l’art
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Joël Couve - mars 2023
Leurs noms de Breuil et de Mathie, dans le contexte de la mise en aventure de la filature sous le signe multiforme de l’art, ne désignent pas tant les personnes que le champ des intensités plastiques tendu par leurs deux oeuvres entremêlées chaque fois qu’ils les exposent ensemble dans une relation osmotique avec tel ou tel lieu singulier. De ces précédentes expériences nous gardons une mémoire vive et active dans notre pensée sensible. Et de ce point de vue, nous considérons le duo Breuil/Mathie comme une sorte de dyade où se réalise, sur un plan de fusion et selon une réciprocité complémentaire de leurs différences et forces créatrices, la réunion complice de leurs deux oeuvres distinctes. De cette rencontre se dégage ce que nous appelons une troisième oeuvre, ni formelle ni matérielle, elle en manifeste sur un plan mental et d’abstraction les puissances et potentialités. C’est sur un tel plan que nous nous installons pour nous brancher scripturalement sur la dyade, et c’est à travers et au moyen de son prisme que nous suivons la filature dans son aventure de l’art.
La filature, nous y voilà. Et c’est avec un préambule de la poussière que tout commence. Nous regardons les grains de poussière danser dans la lumière… Poussière voltigeuse du temps passé, en suspension dans l’air, jamais elle ne se dépose ni ne s’épaissit ni ne s’agglomère sur les surfaces… Elle danse et lance, dans un phénomène d’irisation qui l’éclaire, des reflets de blé d’or, souvenir du moulin d’antan. Poussière de vie, qui jette soudain comme un signal spirite voulant peut-être nous rappeler que les corps retournent à la poussière. Alors la chorégraphie aérienne des particules de poussière dans la lumière ne deviendrait-elle pas une vanité en mouvement dans l’espace de la filature, ne nous indiquerait-elle pas alors que l’espace est déjà placé sous le signe de l’art et orienté vers Breuil et Mathie. Vers Mathie et ses vanités, ses tamis de tulle, ses figures spectrales et leurs subterfuges illusionnistes... Vers Breuil avec sa peinture et son toucher de soie dans le mouvement même de ses transparences…
L’aventure de l’art avec ses cinquante artistes dans leur diversité, maintenant nous y sommes. Exposer autrui, pour Breuil et Mathie, c’est d’abord élaborer un diagramme à partir duquel leur geste expositionnel s’ordonne et nous propose d’une façon ni neutre ni arbitraire des modalités d’appréhension intelligibles et sensibles capables de saisir l’artistique et l’architectural synchronisés. Il s’agit de construire un récit visuel non narratif mais polysémique et en rhizome. Pour cela il faut aménager des trajectoires de circulation dans l’espace suffisamment nomadiques pour que les chemins de création intérieurs des artistes se continuent au dehors à la surface du visible, permettant aux visiteurs de superposer au parcours réel un itinéraire imaginaire. Breuil et Mathie attribuent donc une valeur positionnelle aux oeuvres visuellement et sémantiquement interprétées en fonction du projet d’ensemble. Mais pour distribuer les pièces stratégiquement dans l’espace et les assembler dans une cohérence de disposition, ils emploient le principe de l’archipel et du patchwork qui allie un modèle maritime et un modèle textile. Ils dispersent pour ainsi dire les oeuvres telles un chapelet d’îlots sur la mer. Toutefois la mer ici, c’est l’espace invisible, insaisissable, transparent qui paradoxalement donne par son immatérialité même un plan de consistance et d’appui aux oeuvres. Chaque oeuvre, dans son insularité stylistique, communique totalement avec la géographie de l’archipel. Si distribuer par dispersion se conçoit aisément, coudre avec l’espace l’est moins ! Ce qui vaut comme liséré, bordure, couture, ce sont les espaces intervallaires extensibles et à géométrie variable, ils ont non seulement une fonction jointive mais aussi une valeur rythmique et cinétique : ils ponctuent en effet la rythmologie de l’exposition. Et surtout ils structurent une spatialité patchworkée c’est-à-dire couturée par des espaces de transition glissés qui mettent en relation les oeuvres entre elles et avec l’architecture des lieux. C’est ainsi que les signes picturaux, sculpturaux, graphiques, céramiques, photographiques et hologrammatiques rentrent dans des cercles de convergence.
Nous pensons que le principe de l’archipel et du patchwork est un intensificateur qui peut accroître la rapidité émotionnelle réceptive et augmente la vitesse de libération des sensations jaillissant des matériaux qui les portent et les fertilisent.
Breuil et Mathie déplient d’une certaine façon l’architecture de la filature pour la mettre en fluidité sur une ligne de fuite et d’horizon de l’exposition. Ainsi passent-ils par ce que Borges appelle le point chimérique des géomètres et embarquent-ils l’édifice dans les détours de leur agir plastique, onirique et fictionnel. C’est pourquoi nous les qualifions d’architectonautes dans leur capacité à voyager à travers tous types de bâtiments, églises ou friches industrielles. Architectonautes, ils comprennent que les lieux sont comme dotés d’une subjectivité archtitectonique qui les imprègne et pose sur eux les marques discrètes de leurs mémoires enfouies dans les murs. Ils inventent une perspective vrillée du vertige pour que des mondes s’ouvrent les uns sur les autres. Ils font bouger les symétries et s’appuient sur le rapport asymétrique existant entre les surfaces et masses solides du bâti séculaire et la mouvance voire l’évanescence et la fragilité des oeuvres plastiques dans la temporalité courte de l’exposition.
Les architectonautes artistes captent intuitivement avec des sensations tactiles et émotionnelles des vibrations en provenance des mémoires enfouies dans les murs. La réalité débordante de la filature se prolonge dans l’imaginaire et c’est par résonance fantomantique que les vibrations et les ondes nous restituent sur le mode de l’absence la présence des ouvrières, des ouvriers, des administrateurs et des dirigeants. La réalité imaginée se poursuit sur la ligne de fiction, nous avons alors l’impression que les murs deviennent une peau ou une tapisserie minérale desquelles surgissent des êtres à présent disparus mais qui tendent sur les surfaces des habits de laine, comme si la filature devenait à son tour un vêtement architectural habillant l’espace. 1889 : ouverture de la filature Athenoud-Plassard ;
quelques années auparavant meurt Gottfried Semper, théoricien de l’origine textile de l’architecture. N’y a-t-il pas là comme un effet de présence poétiquement fantomatique jailli de l’inconscient architectural du bâtiment ?
La filature, nous y voilà. Et c’est avec un préambule de la poussière que tout commence. Nous regardons les grains de poussière danser dans la lumière… Poussière voltigeuse du temps passé, en suspension dans l’air, jamais elle ne se dépose ni ne s’épaissit ni ne s’agglomère sur les surfaces… Elle danse et lance, dans un phénomène d’irisation qui l’éclaire, des reflets de blé d’or, souvenir du moulin d’antan. Poussière de vie, qui jette soudain comme un signal spirite voulant peut-être nous rappeler que les corps retournent à la poussière. Alors la chorégraphie aérienne des particules de poussière dans la lumière ne deviendrait-elle pas une vanité en mouvement dans l’espace de la filature, ne nous indiquerait-elle pas alors que l’espace est déjà placé sous le signe de l’art et orienté vers Breuil et Mathie. Vers Mathie et ses vanités, ses tamis de tulle, ses figures spectrales et leurs subterfuges illusionnistes... Vers Breuil avec sa peinture et son toucher de soie dans le mouvement même de ses transparences…
L’aventure de l’art avec ses cinquante artistes dans leur diversité, maintenant nous y sommes. Exposer autrui, pour Breuil et Mathie, c’est d’abord élaborer un diagramme à partir duquel leur geste expositionnel s’ordonne et nous propose d’une façon ni neutre ni arbitraire des modalités d’appréhension intelligibles et sensibles capables de saisir l’artistique et l’architectural synchronisés. Il s’agit de construire un récit visuel non narratif mais polysémique et en rhizome. Pour cela il faut aménager des trajectoires de circulation dans l’espace suffisamment nomadiques pour que les chemins de création intérieurs des artistes se continuent au dehors à la surface du visible, permettant aux visiteurs de superposer au parcours réel un itinéraire imaginaire. Breuil et Mathie attribuent donc une valeur positionnelle aux oeuvres visuellement et sémantiquement interprétées en fonction du projet d’ensemble. Mais pour distribuer les pièces stratégiquement dans l’espace et les assembler dans une cohérence de disposition, ils emploient le principe de l’archipel et du patchwork qui allie un modèle maritime et un modèle textile. Ils dispersent pour ainsi dire les oeuvres telles un chapelet d’îlots sur la mer. Toutefois la mer ici, c’est l’espace invisible, insaisissable, transparent qui paradoxalement donne par son immatérialité même un plan de consistance et d’appui aux oeuvres. Chaque oeuvre, dans son insularité stylistique, communique totalement avec la géographie de l’archipel. Si distribuer par dispersion se conçoit aisément, coudre avec l’espace l’est moins ! Ce qui vaut comme liséré, bordure, couture, ce sont les espaces intervallaires extensibles et à géométrie variable, ils ont non seulement une fonction jointive mais aussi une valeur rythmique et cinétique : ils ponctuent en effet la rythmologie de l’exposition. Et surtout ils structurent une spatialité patchworkée c’est-à-dire couturée par des espaces de transition glissés qui mettent en relation les oeuvres entre elles et avec l’architecture des lieux. C’est ainsi que les signes picturaux, sculpturaux, graphiques, céramiques, photographiques et hologrammatiques rentrent dans des cercles de convergence.
Nous pensons que le principe de l’archipel et du patchwork est un intensificateur qui peut accroître la rapidité émotionnelle réceptive et augmente la vitesse de libération des sensations jaillissant des matériaux qui les portent et les fertilisent.
Breuil et Mathie déplient d’une certaine façon l’architecture de la filature pour la mettre en fluidité sur une ligne de fuite et d’horizon de l’exposition. Ainsi passent-ils par ce que Borges appelle le point chimérique des géomètres et embarquent-ils l’édifice dans les détours de leur agir plastique, onirique et fictionnel. C’est pourquoi nous les qualifions d’architectonautes dans leur capacité à voyager à travers tous types de bâtiments, églises ou friches industrielles. Architectonautes, ils comprennent que les lieux sont comme dotés d’une subjectivité archtitectonique qui les imprègne et pose sur eux les marques discrètes de leurs mémoires enfouies dans les murs. Ils inventent une perspective vrillée du vertige pour que des mondes s’ouvrent les uns sur les autres. Ils font bouger les symétries et s’appuient sur le rapport asymétrique existant entre les surfaces et masses solides du bâti séculaire et la mouvance voire l’évanescence et la fragilité des oeuvres plastiques dans la temporalité courte de l’exposition.
Les architectonautes artistes captent intuitivement avec des sensations tactiles et émotionnelles des vibrations en provenance des mémoires enfouies dans les murs. La réalité débordante de la filature se prolonge dans l’imaginaire et c’est par résonance fantomantique que les vibrations et les ondes nous restituent sur le mode de l’absence la présence des ouvrières, des ouvriers, des administrateurs et des dirigeants. La réalité imaginée se poursuit sur la ligne de fiction, nous avons alors l’impression que les murs deviennent une peau ou une tapisserie minérale desquelles surgissent des êtres à présent disparus mais qui tendent sur les surfaces des habits de laine, comme si la filature devenait à son tour un vêtement architectural habillant l’espace. 1889 : ouverture de la filature Athenoud-Plassard ;
quelques années auparavant meurt Gottfried Semper, théoricien de l’origine textile de l’architecture. N’y a-t-il pas là comme un effet de présence poétiquement fantomatique jailli de l’inconscient architectural du bâtiment ?

L’espace d’exposition se déplie au-delà des murs dans le paysage alentour qui s’impose extensivement
comme un dehors en continuité esthétique. L’architecture et le paysage retentissent ensemble au coeur
du concert expositionnel. Voilà le ruisseau avec la poésie de son eau et la force hydraulique de son
flux qui a lavé tant de laine…Voilà le vieux pont des passages et des rencontres... Voilà les arbres et
les oiseaux... Et voilà les moutons comme autant de nuages sur pattes, ils avancent en formation de
nuée ovine parsemant le pré de leur nébulosité laineuse en portant sur le dos la matière première de
la filature.
La filature présente des prédispositions pour l’aventure de l’art et ce, depuis le moulin originel qui a
accompagné le riche développement technique et artistique du début de la Renaissance. Ensuite, dans
sa forme actuelle, elle a été contemporaine d’une nouvelle civilisation visuelle avec l’invention de la
photographie et du cinéma ; contemporaine encore de la révolution industrielle et des révolutions
artistiques qui lui sont connexes. Rappelons, en outre, que le textile et l’art sont étroitement liés
historiquement, de la broderie de Bayeux aux tapisseries de Lurçat en passant par celles de la Dame
à la Licorne médiévale. L’art contemporain et le textile entremêlent souvent leurs signes, citons à la
volée et à titre d’exemple Julian Schnabel et Sigmar Polke, sans oublier les artistes présents dans
cette exposition qui travaillent directement avec des signes textiles et que nous prenons à témoin :
A. Boulerot avec le drap de lin et le fil d’or, A. Pouillet qui s’inspire des tapisseries de l’abbaye de la
Chaise Dieu, A. Guerrand et son abstraction graphique sur satin, S. Faudin et son triptyque des pelotes
de laine, JL Lopez Lara et son anagramme pictural laine/liane, F. Fleury qui à la porcelaine et au grès
allie le textile, G. Mathie et son utilisation fantomiste du tulle…
En agençant et en supervisant cette exposition collective des artistes conviés par leurs soins, Breuil
et Mathie produisent un geste artistique, matériel et conceptuel. Nous pensons en effet que cette
installation équivaut à une signature expositionnelle apposée sur le bâtiment et sur le paysage
environnant. Cette signature déclenche un nouvel et extraordinaire effet de présence de la filature qui
devient un readymade architectural. L’exposition expose ainsi le lieu qui l’expose selon un principe de
réciprocité complémentaire de création. Une telle signature devient le sceau du saut qualitatif installant
la filature dans son statut provisoire de readymade. Et sur la ligne à l’aventure de l’art, la filature reste
ouverte à des métamorphoses à venir...
comme un dehors en continuité esthétique. L’architecture et le paysage retentissent ensemble au coeur
du concert expositionnel. Voilà le ruisseau avec la poésie de son eau et la force hydraulique de son
flux qui a lavé tant de laine…Voilà le vieux pont des passages et des rencontres... Voilà les arbres et
les oiseaux... Et voilà les moutons comme autant de nuages sur pattes, ils avancent en formation de
nuée ovine parsemant le pré de leur nébulosité laineuse en portant sur le dos la matière première de
la filature.
La filature présente des prédispositions pour l’aventure de l’art et ce, depuis le moulin originel qui a
accompagné le riche développement technique et artistique du début de la Renaissance. Ensuite, dans
sa forme actuelle, elle a été contemporaine d’une nouvelle civilisation visuelle avec l’invention de la
photographie et du cinéma ; contemporaine encore de la révolution industrielle et des révolutions
artistiques qui lui sont connexes. Rappelons, en outre, que le textile et l’art sont étroitement liés
historiquement, de la broderie de Bayeux aux tapisseries de Lurçat en passant par celles de la Dame
à la Licorne médiévale. L’art contemporain et le textile entremêlent souvent leurs signes, citons à la
volée et à titre d’exemple Julian Schnabel et Sigmar Polke, sans oublier les artistes présents dans
cette exposition qui travaillent directement avec des signes textiles et que nous prenons à témoin :
A. Boulerot avec le drap de lin et le fil d’or, A. Pouillet qui s’inspire des tapisseries de l’abbaye de la
Chaise Dieu, A. Guerrand et son abstraction graphique sur satin, S. Faudin et son triptyque des pelotes
de laine, JL Lopez Lara et son anagramme pictural laine/liane, F. Fleury qui à la porcelaine et au grès
allie le textile, G. Mathie et son utilisation fantomiste du tulle…
En agençant et en supervisant cette exposition collective des artistes conviés par leurs soins, Breuil
et Mathie produisent un geste artistique, matériel et conceptuel. Nous pensons en effet que cette
installation équivaut à une signature expositionnelle apposée sur le bâtiment et sur le paysage
environnant. Cette signature déclenche un nouvel et extraordinaire effet de présence de la filature qui
devient un readymade architectural. L’exposition expose ainsi le lieu qui l’expose selon un principe de
réciprocité complémentaire de création. Une telle signature devient le sceau du saut qualitatif installant
la filature dans son statut provisoire de readymade. Et sur la ligne à l’aventure de l’art, la filature reste
ouverte à des métamorphoses à venir...
Voici réunies des figures qu’on prétendrait incompossibles.
Cette incompossibilité fournit un rare piment, le “bizarre”que Beaudelaire tenait pour inhérent au “beau”. Le regard ici n’a que faire des classements (...), aucun lien, aucun repère qu’un geste d’élection. Qu’est-ce donc qui unit ces oeuvres qui se trouvent désignées ensemble à notre attention ? Des rapports de ressemblance ou de dissemblance ? Plutôt que cette recherche des apparences du style, repérer et suivre la trace de quelques chemins…
Viviane Huchard
Cette incompossibilité fournit un rare piment, le “bizarre”que Beaudelaire tenait pour inhérent au “beau”. Le regard ici n’a que faire des classements (...), aucun lien, aucun repère qu’un geste d’élection. Qu’est-ce donc qui unit ces oeuvres qui se trouvent désignées ensemble à notre attention ? Des rapports de ressemblance ou de dissemblance ? Plutôt que cette recherche des apparences du style, repérer et suivre la trace de quelques chemins…
Viviane Huchard